Danse en Seine : Peux-tu nous présenter le projet ?

Claire Orantin : C’est un film documentaire de 52 min, sur la danse et le quotidien du danseur. Il y a pas mal de films sur la danse, mais entre les portraits d’étoiles et les films sur les « petits rats »de l’Opéra, il n’y avait pas grand chose qui montrait ce qu’était ce choix de vie. 99% des danseurs aujourd’hui sont des gens qui s’en sortent difficilement, mais qui ont choisi d’en vivre. Dans ce film, il y a une volonté assumée d’avoir une part de fiction, c’est-à-dire de raconter une histoire. Pour cela, il fallait des personnages et un fil conducteur, d’où l’idée de suivre 5 personnes, qui ont choisi d’évoluer dans des modes de vie très différents. Et pour les lier, une trame de fond personnelle et un point de vue subjectif : non seulement je les connais, mais en plus j’ai voulu faire ce métier à un moment. Je suis un petit peu le liant humain qui relie les différents points de cette histoire.

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Danse en Seine : Justement, pourquoi t’inclure dans ce projet ?

Claire Orantin : C’est un projet avec un aspect très personnel et je n’avais pas envie de me cantonner aux portraits croisés. En en discutant avec mon entourage, il s’est avéré que mon point de vue était très particulier. La question était donc de savoir comment assumer cette position de narratrice ? Je n’avais pas nécessairement envie de me montrer, mais j’avais besoin d’assumer ce côté intime : j’ai donc pris la décision d’être a l’image, pour trouver une manière intéressante de voyager au travers de ces portraits, tout en étant moi-même dans une démarche de redécouverte de la danse. J’ai repris pas mal de cours de danse, notamment de la barre au sol et du flamenco. Et d’ailleurs, vous verrez la véracité de la difficulté de la reprise ! Il a fallu se mettre en danger, aussi bien physiquement dans les sensations, que dans les émotions : remettre des chaussons, poser la main sur la barre… Récemment, nous avons tourné une séquence où je rachète une paire de pointes, et c’était surprenant de voir à quelle vitesse les sensations reviennent… Un peu comme une madeleine de Proust !

Danse en Seine : Peux-tu nous parler un peu de ta démarche ?

Claire Orantin : Je cherche à répondre à une question simple, à savoir qu’est ce que c’est qu’être un danseur dans sa tête ? Ce que ça implique comme choix dans ta vie, dans ton couple, dans ton porte-monnaie… Je souhaite faire un film qui soit très dansé, avec beaucoup d’entretiens en situation. Nous avons eu beaucoup de chance, les quatre danseurs ont eu des saisons riches en projets. Tous les genres sont mélangés, classique, contemporain, mais aussi un peu de théâtre : je cherche à éviter l’aspect poussiéreux de la danse, ce côté parfois un peu « gnangnan ». Les danseurs que je filme, ce sont des gens plein de vie, qui sortent, fument et mangent des hamburgers, mais qui sont passionnés, tout en se demandant parfois pourquoi ils font ça. Je veux parler de la danse avec modernité et détachement, pour faire quelque chose qui parle a tout le monde.

Danse en Seine : Justement, tu faisais beaucoup de danse petite ?

Claire Orantin : J’ai commencé la danse comme toutes les petites filles vers 5-6 ans. On m’a dit que j’avais des capacités, et j’ai voulu en faire de plus en plus. Je suis rentrée au CNR de Paris en CM2, et j’ai commencé à faire de la danse tous les jours, dans un but professionnel. Mais j’ai toujours su, déjà très tôt, que je n’en ferai peut être pas mon métier. Est ce que c’est cette vie qui n’était pas faite pour moi? Ou moi qui n’était pas faite pour cette vie? Sûrement un peu les deux mais pour autant mon film n’est pas le résultat d’une frustration de danseuse. Après avoir abandonner la danse, j’ai vraiment voulu passer à autre chose, je me suis laissée porter par plein d’envies differentes. Ce que j’aime, ce n’est pas d’être sur scène, mais de regarder les autres, et d’emmener des projets quelque part.

Danse en Seine : Et c’est au conservatoire que tu as rencontré tes personnages ? 

Claire Orantin : Exactement ! Quand j’ai commencé à penser au projet, je les ai recontactés via Facebook. Je leur ai envoyé un mail et j’ai tout de suite reçu une réaction très positive ! Je les ai ensuite tous revu individuellement, et à chaque fois, le café s’est prolongé pendant des heures. J’étais très intéressée par ces retrouvailles, qui impliquaient de la distance et un regard extérieur. Il y avait quelque chose de commun à chaque rendez-vous : dix ans se sont écoulés, ce sont des adultes, qui ont changé. Et pourtant, très rapidement, on retrouve une complicité, car nous avions partagé des moments fondateurs qui ont pesé dans les chemins que l’on a pris. Ces entretiens ont posé la base du projet. Une fois que je les ai tous vu, j’ai commencé à écrire.

Danse en Seine : C’est d’ailleurs la première fois que tu as la casquette de réalisatrice ?

Claire Orantin : Quand je l’ai écrit, je l’envisageais juste comme auteur, pour ensuite le donner à quelqu’un qui puisse faire ça sous mon oeil. En en discutant autour de moi, je me suis rendue compte que ça ne pouvait être personne d’autre, parce qu’il y a un point de vue, et je n’avais pas envie d’être dépossédée de cette histoire. J’avais des images très précises dans la tête. Et comme c’est mon premier, je suis un peu plus libre : je sais qu’on ne m’attend pas au tournant ! Je me suis préparée de plusieurs manières différentes. Déjà en discutant énormément avec les personnages, pour retrouver une proximité avec eux, connaître leur vie. Pour construire le scénario, j’ai écrit un séquencier. Bien sûr, dans la réalité, rien ne se passe comme prévu, à la fois dans le concret comme dans ce que tu ressens. Je réalise sans cadrer, ce qui veut dire que je ne fais pas l’image du film, qui est la responsabilité de mon chef opérateur. Ce qui provoque parfois un vrai questionnement : suis-je légitime ? Mais on me rassure régulièrement : ce film, c’est mon bébé !