« Je ne m’intéresse pas à la danse comme code ou comme langage, mais en tant que témoin au niveau le plus primaire de l’existence physique et matérielle des choses. » Découvrez l’univers chorégraphique de Tudi Deligne, le chorégraphe des prochains ateliers artistiques.

Quel est ton univers chorégraphique ?

C’est une question à laquelle j’évite généralement de répondre! Dans la mesure où ma recherche se situe en amont, ou en deçà, de la création d’un vocabulaire chorégraphique, ou d’un univers esthétique cohérent, défini par l’intention de s’exprimer.
Je ne m’intéresse pas à la danse comme code ou comme langage, mais en tant que témoin au niveau le plus primaire de l’existence physique et matérielle des choses. C’est tout autant la manière dont un grain de poussière plane dans l’espace en fonction de subtiles différences de température de l’air, que la manière dont le système nerveux d’un chat lui permet de se tenir en équilibre sur une surface large d’un centimètre au dessus d’un gouffre, que l’extrême complexité du corps humain, bien sûr. Cependant de ce point du vue, l’humain est sans cesse parasité par son intellect, par les codes qu’il apprend et qui définissent la conscience et la perception qu’il a de lui-même. C’est pourquoi je cherche comment régresser à l’état de chose. En ce sens je n’ai pas d’univers ou d’intention formelle qui pré-definisse la danse, ou ce qu’elle peut être. L’esthétique résulte de manière aveugle, spontanée, organique, des processus de travail que j’utilise. Et celle-ci changera radicalement d’un danseur à l’autre car ils sont des entités physiques et mémorielles différentes.
Ceci dit, on peut tout de même reconnaître à ce type de recherche un élément de base qui est le travail sur la temporalité. Dans le mesure où le premier pas dans cette forme de régression à l’état de chose est de réduire le bruit de l’esprit et du corps dans l’espace, arrêter de bouger de manière visible et intentionnelle, et d’extirper le corps de cette glue anesthésiante qu’est la temporalité sociale et fonctionnelle du quotidien, nécessaire à la régulation d’une vie en société. Cela permet de commencer à diriger son attention vers des éléments de l’environnement qui nous échappent d’ordinaire, et de laisser la place au système nerveux d’y répondre de manière aigue.
En fin de compte j’aimerais que l’univers ésthétique de mon travail soit entièrement défini par la façon dont mon système nerveux réagi à son environnement! Mais c’est un voeux pieux, cela représente un travail infini. Mes intentions artistiques personnelles importent peu, et de manière générale, que ce soit dans mon travail plastique ou chorégraphique, j’essaye toujours de fuir ce qui l’identifie à ma personne. A mes yeux les artistes n’ont aucune importance, seules leurs oeuvres comptent!

Peux-tu nous dire quelques mots sur ta création en cours ?

De la même manière il est difficile pour moi de parler de ma création en cours car je commence tout juste à la développer et rien ne me permet de savoir ce à quoi elle ressemblera dans quelques semaines seulement! Il s’agit d’un duo d’environ 45 minutes avec la danseuse américaine Sierra Kinsora. C’est tout ce que je peux en dire pour l’instant.
En revanche je viens de finir de développer un solo intitulé « Les origamis rêvent-ils de moutons en papier? » (en référence à l’écrivain Philip K. Dick) sur lequel je travaillais depuis deux ans. On y retrouve un élément important de mon travail qui est la contrainte. Une simple action telle que celle de se lever y est rendue très complexe et presque acrobatique par la façon dont mon corps se contraint lui-même. Toute la danse est déterminée et découle naturellement de la posture de départ et du désir du corps de se dresser. Les différentes contortions et exercices d’équilibre auxquels celui-ci doit se livrer pour y parvenir ouvrent en moi un espace émotionnel très spécifique. Si j’essaye de fuir le pathos, l’espace émotionnel ouvert par un corps sur scène est très important à mes yeux. Mais plutôt que les émotions soient voulues et démonstratives, je préfère que celles-cies soient déterminées par le statut du corps lui-même et retenues au maximum, jusqu’à ce qu’elles suppurent presque par les ports de la peau du danseur, non pas intentionnellement mais malgré lui.

 

Quels ateliers as-tu prévu avec les danseurs de Danse en Seine ?

Dans la mesure où mon travail s’intéresse à la présence d’une personne dans l’espace par ce qui le détermine, je travaille rarement avec un grand nombre de danseurs. Travailler avec une troupe de 40 personnes va être une grande première pour moi!
Pas de grand projet ici, ni d’éléments chorégraphiques pré-défini puisque ma recherche est que la danse de chacun découle de chacun. Etant donné que la prise de contact avec ce type de danse est complexe et nécessite non pas tant de la technique, mais du temps, beaucoup de temps, j’ai simplement préparé une série de petits workshops dans le but de partager un certain nombre d’exercices, d’images, d’expériences, d’entrainement physique qui m’ont amené à découvrir la danse, et que j’utilise moi-même au quotidien dans mon travail. En cinq séances, il me paraitrait peut-être un peu prématuré de chercher à construire et montrer quelque chose avec un si grand nombre. Je préfère ménager le temps pour la découverte, et surtout l’observation des uns par les autres. Dans mon parcours, l’observation a été capitale, et en ce qui me concerne c’est pour une bonne part en apprenant à voir que mon corps a appris à sentir.

Informations pratiques :
– Ateliers le mercredi soir, de 20h30 à 22h, au Carreau du Temple.
– Inscriptions : ici.
– Si vous avez des questions n’hésitez pas à nous écrire : ateliers@danseenseine.org
– Dates du cycle : 9/01, 16/01, 23/01, 30/01, 06/02/2019 (restitution publique).