Le 18 octobre dernier, le rideau s’est fermé une dernière fois sur Or des Talus. Après deux ans de conception, répétitions et spectacles, les chorégraphes reviennent sur cette expérience.

1. Quel regard portez-vous sur ces deux ans ?

Orianne Vilmer : C’est une création qui date d’il y a 2 ans, qui en dit long sur une situation personnelle de l’époque, qui traduit des doutes, des remises en question, une certaine noirceur et une fascination… Or des Talus a été un compagnon fidèle dans une période charnière. Cette pièce m’a aidée à plonger en moi, à chercher mes propres réponses, mais aussi à découvrir d’autres facettes de mon conjoint ! Finalement, je crois que je porte déjà un regard mélancolique sur cette période !

Jocelyn Muret : C’est passé beaucoup plus vite qu’on pourrait le croire, deux ans c’est long bien sûr, mais j’ai toujours l’impression qu’on a commencé hier ! Je ne dis pas qu’il n’y a pas eu des moments difficiles, où le projet nous semble fou, voir impossible… Mais c’est avant tout deux ans d’intense bonheur, d’émulation créatrice, de partage avec les danseurs et tout ceux, de près ou de loin, qui ont contribué à l’aventure. Je ne leur dirai jamais assez merci de nous avoir soutenus, on n’aurait rien pu faire sans eux. Et j’ajouterai qu’ils me manquent déjà…

2_ODT26092015
Photo : David Le Gall

2. Comment la pièce a-t-elle évolué avec le temps ?

O.V. : Le temps et les représentations nous ont permis de prendre du recul sur la mise en scène, la dramaturgie de la pièce, le rythme global, la profondeur des personnages. C’est une belle opportunité de pouvoir revoir son travail, le redécouvrir et le préciser. Nous avons pu expérimenter de nouvelles choses, qui ne marchaient d’ailleurs pas toujours, tout en ancrant au contraire les choses qui fonctionnaient bien ! Je crois qu’en fait, le plus réjouissant, c’est la progression des interprètes dans leur incarnation du rôle. Il y a quelque chose qui s’est révélé en chacun d’eux… Et dans certains tableaux, qui ont pris leur temps pour se clarifier !

J.M. : On s’était mis une grosse pression avec Orianne et les interprètes pour avoir un spectacle abouti pour les 5 et 10 janvier 2015 (les 2 premières représentations à Paris). Et je crois que ça fonctionnait bien. Doit-on prendre en compte certaines remarques ? On ne change pas son spectacle pour les autres, mais certaines graines finissent par germer et ça semble alors indispensable de faire des modifications. C’est aussi la beauté du spectacle vivant : on peut faire évoluer sa matière au fur et à mesure du temps, ce qui serait impossible avec un film par exemple. La pièce a suivi notre parcours, intellectuel et esthétique, pour aboutir à la dernière représentation (Avignon le 18 octobre), la plus réussie à mon goût. J’ai eu la sensation qu’on touchait enfin au but, mais c’est une impression très personnelle.

3. Pouvez-vous choisir un moment marquant pour chacun d’entre vous ?

O.V. : J’en choisirais trois ! Tout d’abord, la création du solo de Jack : la spontanéité avec laquelle la matière a jailli, l’évidence dans l’écriture et aussi la surprise des autres interprètes de la pièce quant au résultat, peu en phase avec leur compréhension du personnage dans le roman. J’ai été profondément marquée par notre premier filage intégral de la pièce, en décembre 2014… L’incroyable pari avait pris forme ! Et puis je ne pourrais jamais oublier la dernière représentation du 18 octobre 2015, où j’incarnais enfin ce Julien que j’avais mis tant de temps à construire pour Marie, et bien plus de temps que prévu à incarner, avec mon corps, mon histoire, mes émotions. Ce solo final, avec lequel j’ai bataillé pendant plusieurs mois, et qu’enfin je ressentais, en tant qu’interprète, pour la dernière ! Quel achèvement !

J.M. : La question est très restrictive, car choisir un moment c’est écarter volontairement les autres, difficile d’ordonnancer ses souvenirs, ils vous reviennent en fonction de votre humeur du jour, d’une anecdote, d’un stimulus. A l’instant présent, je pense à un ami proche (Nicolas) qui a accepté de composer quelques musiques sans savoir dans quoi il s’embarquait (voir son interview ici). Sur la base de vidéos, de discussions Skype, et de mails, nous avons réussi à nous mettre d’accord et à rendre la pièce encore plus personnelle. Me reviennent aussi tous les moments de création des tableaux, les premières séances d’explorations, d’hésitations, d’improvisations. Et la Première, bien sûr : tension maximale, salle pleine, beaucoup d’attentes… et d’applaudissements. Un plaisir immense partagé avec nos familles, nos proches et le public.

12bis_ODT26092015
Photo : David Le Gall

4. Comment aviez-vous imaginé la « tournée » ?

O.V. : Pour ma part avec beaucoup d’appréhensions ! Reprendre le rôle principal alors qu’on l’a chorégraphié… C’est beaucoup de pression qu’on s’impose ! C’est la peur de ne pas être à la hauteur de l’interprète original qu’on a contribué à façonner. Mais c’était aussi avec un plaisir incroyable de pouvoir partager le fruit de deux ans de travail avec notre auteur Jean-Louis sans qui rien de tout cela n’existerait.

J.M. : L’équipe de Danse en Seine fait un travail pro à tous les niveaux (communication, logistique, etc.), c’est très rassurant de se savoir entouré de gens sérieux et motivés. Du coup, j’appréhendais surtout les aspects techniques dont je m’occupe plus particulièrement (lumière et son). Adapter le spectacle à une nouvelle salle, revoir la conduite lumière, reprogrammer en quelques heures…c’est un travail de l’ombre assez ingrat. On n’a toujours l’impression de ne pas aller assez vite, on ne veut pas fatiguer inutilement les danseurs, mais en même temps on a besoin d’eux sur scène. Heureusement, on a pu compter sur « notre » technicien Filipe qui nous a accompagné sur les 2 scènes de Toulouse et Avignon. Son sang-froid et son professionnalisme ont été indispensables au succès de la tournée.

5. A quand le prochain ?

O.V. : Il y a déjà d’autres grands projets sur le feu, pas forcément chorégraphiques… Mais il y aura un prochain c’est certain !

J.M. : Une fois qu’on y a goûté, c’est impossible d’y renoncer. Il y aura donc de nouvelles expériences, c’est sûr, mais pas tout de suite ! On va se concentrer sur un projet familial d’abord. Et puis on se laissera porter par l’inspiration…