dancer-titleRetour sur le premier atelier de l’année à la résidence du Marais : conférence autour de Pina Bausch.

Pour bien commencer l’année, rien de tel qu’une après-midi à découvrir ou redécouvrir les oeuvres de l’extraordinaire chorégraphe Pina Bausch. Ce fût en effet le thème choisit pour débuter le cycle de conférences et ateliers pratiques que Danse en Seine réalise auprès des résidents de la maison de retraite du Marais. Ce dimanche, Violette, Camille et Véronique ont chacune préparé une présentation d’une pièce phare de Pina : Le Sacre du Printemps, Café Müller et Orphée et Eurydice.

Les résidents du Marais n’ont pas vraiment apprécié le style de Pina: trop compliqué, trop contemporain pour eux. Mais le point positif est qu’au moins ils ont découvert une grande chorégraphe, et surtout ont pu développer leur esprit critique !

Café Müller

Pièce créée en 1978, elle est une des œuvres fondatrices du mouvement Tanztheater (danse-théâtre). But de ce mouvement : «communiquer la réalité dont le corps fait l’expérience », avec pour corollaire le désir d’y échapper, l’ouverture d’un «espace du rêve ».

Le lieu : un café. Lien avec l’enfance de Pina, ses parents tenaient un bar-hôtel à Solingen en Allemagne.

La scène est recouverte de chaises de bistro et de guéridons. Le corps du danseur est en perpétuel contact avec ce qui l’entoure : les chaises, les murs, le sol… Les contacts violents entre les interprètes et le décor, chocs contre les murs, les baies vitrées, les chaises, présentent des corps meurtris et douloureux.

Argument de départ : « se mouvoir, se sentir, se toucher ». C’est le rapport du corps de l’espace, l’un dépendant de l’autre. Pour Pina, l’espace n’existe que dans la mesure où il touche au corps. Pour expliquer cette chorégraphie/scénographie, Pina disait “J’essaie de savoir où ont lieu mes sentiments”.

Travail de création de Pina par les Associations d’idées dans des séances d’improvisation :

Texte présenté aux spectateurs de Café Muller :

« Une plainte d’amour. Se souvenir, se mouvoir, se toucher. Adopter des attitudes. Se dévêtir, se faire face, déraper sur le corps de l’Autre. Chercher ce qui est perdu, la proximité. Ne savoir que faire pour se plaire. Courir vers les murs, s’y jeter, s’y heurter. S’effondrer et se relever. Reproduire ce qu’on a vu. S’en tenir à des modèles. Vouloir devenir un. Être dépris. S’enlacer. He is gone. Avec les yeux fermés. Aller l’un vers l’autre. Se sentir. Danser. Vouloir blesser. Protéger. Mettre de côté les obstacles. Donner aux gens de l’espace. Aimer. »

Thème abordé 1 : les problèmes de communication homme/femme, les tensions dans le rapport du couple.

Dans l’extrait ci-dessous: scène dans laquelle un homme porte sa compagne dans ses bras et la laisse retomber, celle-ci revenant inlassablement l’embrasser et remontant dans ses bras aidée d’un troisième interprète qui réalise une douzaine de fois en accéléré les mises en place des corps et positions du couple.

Café Müller est une des pièces majeures de Pina Bausch, qui devait rentrer au répertoire de l’Opéra de Paris comme Le Sacre du Printemps et Orphée et Eurydice, mais Pina Bausch est décédée avant.

Dans l’œuvre de Pina, c’est une de ses dernières contributions dansées car elle souhaitait garder le désir de danser : « Si l’envie de danser prenait fin, tout prendrait fin aussi, je crois. »

En termes chorégraphiques, cela signifie :

  • déplacements « à tâtons » des interprètes,
  • toucher des corps entre eux,
  • rôle des objets dans un décor mouvant avec lesquels ils entrent en contact,
  • construction singulière d’un espace « tenant aux corps »,
  • recherche d’un ressenti défini par Pina Bausch comme le lieu par où l’on touche et par où l’on « est touché »

Le Sacre du Printemps

Son Sacre du printemps, qui entre au répertoire du Ballet de l’Opéra national de Paris, n’est ni la reprise ni la reconstitution.

Elle est allée dans le sens d’une véritable recréation. C’est la première fois que Pina Bausch donne une chorégraphie à d’autres danseurs que ceux de sa compagnie. En choisissant seize danseuses et seize danseurs (pas d’étoiles).

On est face à une danse tellurique, qui remue la terre et frappe le sol. Cette transe collective d’où les danseurs reviennent hagards, exténués, sans défense. La musique de Stravinski s’empare avec une force sauvage des corps, les ébranle, les émeut. L’écriture est simple, directe. Le mouvement monte du sol, (sol recouvert de terre) attrape les danseurs par les pieds. La force est collective.

La musique, les danseurs, la salle et l’orchestre se mêlent en une harmonie ultime pour mieux affoler, perdre les sens. La trentaine de danseurs se regroupe et se désunit, occupe l’espace de mille façons, tour à tour éparpillés sur la scène attirant collectivement les regards, tassés dans un angle. La mise en scène ne laisse pas plus de répit au public qu’aux danseurs. Igor Stravinsky avait voulu pour sa musique un rythme effréné, et Pina Bausch lui rend parfaitement hommage.

L’animalité et la grâce incroyable de cette danseuse choisie pour le sacrifice lorsqu’elle échange sa robe couleur chair contre la rouge, symbole du sang de la virginité.

Les danseurs finissent à bout de souffle, dans un état second, comme vidés. On se sent presque aussi sonnés.

On en juge par l’extrait ci-dessous :

Orphée & Eurydice

C’est en 1975 que Pina Bausch transforme la partition de Christophe Willibald Gluck (1714-1787) en opéra dansé. « Orphée et Eurydice» devient l’emblème de l’art de la chorégraphe allemande, décédée en 2009. Il y a déjà tout le style Pina dans cette sublime complainte. Un mélange de classique et de modernité d’une pureté à couper le souffle. Les quatre tableaux – deuil, violence, paix et mort – sont portés par les chœurs chantés. Les personnages principaux sont dédoublés par une chanteuse.

La pièce s’ouvre sur le Deuil: partie poignante, avec son armée de jeunes femmes en noir. Rien ne semble surpasser la puissance du Deuil. Les pleureuses hiératiques, aux longs mouvements gémissants toutes vêtues de noir, ouvrant et finissant le ballet, mettraient des frissons à n’importe quelle âme asséchée. La danse de Pina Bausch, ces mouvements terriens, presque sauvages, c’est bien cela. Voir extrait ci-dessous :

http://www.youtube.com/watch?v=uLS9iMjxyE4

Orphée et Eurydice est désormais un « classique » du Tanztheater. Mille fois adaptée, l’histoire du fils de Calliope et de la nymphe Eurydice devient sous la direction de Pina Bausch une œuvre tumultueuse et glaçante qui redonne au récit antique des accents tragiques etcontemporains.

Aux deux protagonistes principaux (Orphée est l’Amour, Eurydice, La Mort) conventions héritées de l’ère baroque s’ajoute Amour (qui incarne la jeunesse). Puis, en adoptant dramaturgie simple en quatre tableaux (Deuil, Violence, Paix, Mort), Pina Bausch a pratiqué quelques sacrifices narratifs (notamment une résurrection d’Eurydice, désormais facultative) elle donne la parole au Chœur qui joue dans la fosse un rôle antique comme dans une tragédie. Enfin, Eurydice, Amour et Orphée sont doublés sur scène par leurs jumeaux chantants tout de noir vêtus  avec bel effet de dédoublement, d’opposition, d’échos parfois, de schizophrénie souvent sous la direction ferme et expressive de Manlio Benzi qui succède à Thomas Hengelbrock. Résultat de cet agencement magnifique, un ballet qui n’a pas pris une ride, au décor sobre et efficace dont l’acmé retrouvé avec bonheur est sans doute cette balade au séjour des morts, ou encore dans ce déroulage de pelotes incroyables par des fiancées borgnes déjà veuves empêchées de faire des offrandes. Ou encore dans ce cerbère tricéphale incarné superbement par les danseurs, vigiles forgerons. Admirez l’extrait ci-dessous :

http://www.youtube.com/watch?v=7bvIsno3tWA

La danse est après tout une sorte d’instrument de musique dont le corps en est l’objet. Tout comme le chant. (Il est intéressant d’ailleurs, quand on travaille les deux, de s’apercevoir que la position physique de base de ces deux arts est la même). ll n’est plus question ici du danseur sur de la musique, ou de la musique qui porte le danseur. Il est question de mélange, de duos. A voir, à écouter, à ressentir sans séparer les trois sensations.

Ce qu’on aime chez Pina Bausch, c’est qu’elle ne s’embarrasse pas de superflu. Il n’y a pas de moment de danse juste pour le plaisir des yeux. Ici, tout a un sens, tout doit servir l’histoire. Celle d’Orphée, prêt à descendre aux Enfers pour aller chercher sa bien-aimée Eurydice.

Un peu comme dans son Sacre du Printemps, la danse est terrienne, quelque part assez sauvage, épurée. Le corps de ballet, qui danse pourtant du Pina Bausch depuis peu de temps, est formidablement à l’aise et investi dans cette chorégraphie.

Camille, Violette et Véronique, pour Danse en Seine