Quand Danse en Seine part en vacances, c’est aussi pour profiter des scènes non parisiennes. Un Lac des Cygnes revisité par Jean-Christophe Maillot à la tête de ses Ballets de Monte-Carlo, l’affiche avait de quoi faire saliver…

27 décembre 2011, première: un silence respectueux se fait soudain pour laisser entrer S.A.R. la Princesse de Hanovre, à qui la danse à Monaco doit beaucoup. La Principauté peut en effet s’enorgueillir d’une compagnie d’un niveau exceptionnel, ayant réussi un virage vers le contemporain pas si évident au regard du public alentour, elle organise également un festival multiforme (à destination du public mais aussi des professionnels) et possède une école de haut niveau: un faire-valoir précieux loin du bling-bling des casinos et des stars au rabais.

Cela faisait longtemps que Jean-Christophe Maillot, directeur des ballets depuis 1993, fomentait l’idée d’un Lac des Cygnes: monument, monstre, ballet mythique, les qualificatifs ne manquent pas. Pour s’attaquer à cette lourde tradition, Maillot s’est, comme à son habitude, bien entouré : il a fait appel à l’écrivain Jean Rouaud, prix Goncourt 1990, pour la dramaturgie. Le plasticien Ernest Pignon-Ernest a signé la scénographie. Philippe Guillotel s’est occupé des costumes, quand la partition de Tchaïkovski a été complétée par des rythmes signés Bertrand Maillot.

L’enjeu central de cette relecture était de ne pas tomber dans la subversion radicale sans intérêt, ni dans un respect un peu trop béat. Mats Ek et ses palmes, Matthew Bourne et son corps de ballet exclusivement masculin, la prochaine création de Luc Petton à Chaillot avec des oiseaux vivants (!), il fallait trouver quelque chose de nouveau, et Maillot est allé chercher du côté de la dramaturgie: du côté du fond donc plutôt que de la forme.

Jean Rouaud, féru de danse contemporaine et proche de Dominique Bagouet, confesse ne connaître du ballet que «Jacques Charon en tutu dansant la mort du cygne».

Première surprise: le cygne blanc et le cygne noir ne font pas qu’un, Jean Rouaud voyant dans le Lac « la peur archaïque de ne pas voir le jour succéder à la nuit. La légende repose sur un récit cosmogonique. Ici se joue la lutte entre les pulsions animales et érotiques contre l’innocence du jour. »

Il y a bien d’autres variations dans l’histoire, mais pour aller vite, laissons parler le chorégraphe: « le magicien Rothbart est ici métamorphosé en femme, mère du cygne noir et qui fut sans doute jadis la maîtresse du père du prince, ce qui laisse penser à des relations familiales torturées… Quant à ce dernier, j’en fait un personnage épris d’absolu, sans obéir à la tendance actuelle qui veut faire de lui un jeune homme à la sexualité indécise, fuyant la réalité de peur de s’avouer son homosexualité et se réfugiant dans un amour impossible avec une femme transformée en cygne. Dans notre version, les deux cygnes sont des victimes, ainsi que le prince. Ils sont victimes de leurs parents qui cherchent à se venger les uns des autres et les écrabouilleront. »

Je vous l’accorde, il faut suivre! Mais la narration est exceptionnellement bien menée tout au long du ballet. Notamment grâce au grand talent dramatique de Bernice Coppieters, Gaëtan Morlotti et Chris Roeland assurant les rôles de Rothbart et de deux archanges des ténèbres. Quand on a connu ces danseurs au fait de leur carrière, on ne peut qu’être ému de voir Maillot réunir ses compagnons de route dans ces rôles de caractère, et on se prend à pester contre la fuite du temps!

De très beaux décors, sobres et jouant sur le clair-obscur, en cohérence avec la lecture du ballet. Côté costume, j’ai trouvé les cygnes magnifiques, avec juste ce qu’il faut de plumes pour l’évocation aérienne. À chaque mouvement, le tutu frémit… je m’arrête là car je pourrais vous en rabattre les oreilles! Par ailleurs, on est très loin des jeux de bras ondulatoires à la Petipa, la main disparait seulement sous un plumage, car pour Maillot, « ce qui distingue l’animal de l’homme, c’est la main, seule capable de se lier à l’autre, le saisir, le battre, le caresser ».

Un peu moins convaincue par les costumes de la première partie, très colorés, et même moins convaincue par la danse du premier acte en général. Mais ensuite, que de beaux moments! Une danse néo-classique alliant technique et épure, des ballets de Monte-Carlo très en forme, des ensembles parfaits, des portés vertigineux… ça m’a laissée songeuse (attention blasphème) surtout après la représentation de la Source au Palais Garnier, où j’avais été un tantinet déçue par la qualité technique du corps de ballet.

BREF, une lecture qui a fait sens pour moi et comme toujours avec Maillot, une magie du spectacle qui me laisse toujours émerveillée.

>> Un petit aperçu en images! (extraits assez peu représentatifs à mon goût, mais la traqueuse web que je suis n’a rien trouvé de mieux!)

>> Pour en apprendre un peu plus sur les Ballets de Monte-Carlo…