Mois : avril 2015

Dance is the new Black

Les portes s'ouvrent et se referment derrière vous. Des grandes clés en fer, de grandes grilles du sol au plafond éclairées par la lumière artificielle. Vous êtes à la Maison d'Arrêt du Bois-d'Arcy. Une forteresse enfoncée dans le sol, toute de béton et de barbelés. Et de vie aussi.

Tout le mois d'avril, huit bénévoles de Danse en Seine se sont succédés le samedi matin pour animer des ateliers danse en prison, menés par Léa, de l'association Champ Libre. Avec un peu de théorique, mais surtout beaucoup de pratique, les quatre matinées ont été consacrées à transmettre le travail d'Anne Teresa de Keersmaeker.

Avant d'entrer, il y a l'arrivée jusqu'à la salle : "marche depuis le RER, portail, marche dans l'enceinte dehors, identité, casiers, portique, couloir, bip porte, escalier, bip porte, gardien" entonne Yolaine. Pour certains, c'est la première fois, pour d'autres une sensation renouvelée : "C'est la deuxième fois que j'anime un atelier à Bois-d'Arcy. La première fois, j'avais été très marquée par l'odeur : un mélange d'aseptisé et de transpiration. Cette année, la sensation est encore indemne : on sent cette volonté de lisser et le vivant qui persiste", se souvient Camille. Pour les "nouveaux, c'est la salle des machines qui marquent les esprits : "magistrale, cinématographique, labyrinthe raisonnant" nous décrit Mathilde. Un contraste d'autant plus saisissant quand vous entendez la surveillante saluer son collègue d'un "bisou sur la fesse gauche".

"C'est fantastique lorsqu'à la fin de l'atelier on les voit sur les chaises, fiers de connaitre les mouvements, de les avoir modifiés et de danser tout simplement. La beauté du mouvement dans ces moments-là suspend le temps et j'étais en admiration devant ces hommes plein de vie." explique Camille. Et les bénévoles ne tarissent pas d'adjectifs pour décrire les détenus : "à l'aise, bavards, polis, curieux, drôles, enthousiastes, intelligents, disciplinés, touchants", mais aussi "impliqués, ouverts, souriants et volontaires" et "créatifs, imaginatifs et attachants". Et puis la surprise aussi : "je ne m'attendais pas à ce que la pratique de la danse contemporaine plaise autant, qu'ils se prêtent si facilement au jeu" commente Anne-Sophie.

L'atelier pratique s'articule autour de la transmission de Rosas danst Rosas, mais dans une version adaptée : les détenus proposent leurs mouvements, leur propre rythmique, et font même des impros. "Ils ont aussi donné beaucoup d’idées et pris à la fin pas mal d’initiatives" sourit Elsa.

Les bénévoles quittent le lieu avec "la frustration de ne pas pouvoir les emmener plus loin de ce travail, alors qu'ils en ont tous les capacités et l'envie" comme le dit Léonard, mais aussi "la force lorsqu'ils dansent tous ensemble". L'écureuil frappe à la porte, on se sert la main, on se dit au revoir, et on repart à son quotidien. Le leur est une cellule partagée de quelques mètres carrés.

En savoir plus : Danse & Détention, les autres projets solidaires de Danse en Seine, Champ Libre.


Un deuxième marathon Probono Lab !

Danse en Seine, en tant que lauréat Pro Bono Lab, a participé il y a quelques jours à son second marathon Pro Bono Lab. Le Marathon Probono est un événement d'une journée qui réunit des volontaires en équipe pour conseiller gratuitement des associations.

Lors de la première édition, en septembre 2014, les bénévoles de l'Association, le chef de projet pro Bono Lab et les consultants d'EuroGroupe avaient clarifié l'identité de Danse en Seine et son projet associatif à moyen terme dans l'objectif de prioriser les activités proposées par l'Association.

Pour ce deuxième rendez-vous, les bénévoles de l'Association ont construit avec les analystes financiers volontaires d'Accuracy un outil de pilotage économique et opérationnel et d'aide à la décision.

Deux marathons sont encore prévus d'ici la fin de l'année 2015 ! Un grand merci à Pro Bono Lab de sa confiance et aux marathoniens pour leur enthousiasme et leur

 

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"Du monde du spectacle au dépassement de soi"

Ce soir, les bénévoles de Danse en Seine emmène les enfants des Amandiers visiter le Carreau du Temple, dans le cadre du projet Dansons les Amandiers. A l'issue de la visite, le spectacle "De la paillette à de la sueur", un spectacle du chorégraphe K Goldstein, dans le cadre du festival Plans d'Avril. Nous avons interviewé Nathan, un danseur de Danse en Seine, qui a participé au projet.

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Quel est le sujet de la pièce "De la paillette à la sueur" ?

A mon sens, la performance essaye d'interroger le dialogue monde du spectacle, cabaret (les paillettes) / performance, dépassement de soi (la sueur). Je vois en effet dans cette performance une façon d'interroger la place de l'artiste-interprète dans un environnement très scénarisé, géométrique, presque mécanique.
Pour être moins théorique : la performance est construite en deux "actes". Un premier acte très strass, jazzy, mais finalement assez linéaire (plein de belles formes géométriques!), qui pour moi nous place dans le monde du music-hall. Le deuxième acte laisse beaucoup plus de place à la "performance". Je vois cette performance comme un essai de déconstruction de ce qui a été montré plus tôt : déconstruction des figures géométriques, des rythmes, des qualités...
Pour interroger la place de l'interprète, K Goldstein (le chorégraphe) a souhaité que nous nous inspirions d'une pop/rock-star qui évoquait des choses chez nous (il n'a pas été précisé que ces choses devaient nécessairement être positives). Plus précisément, K nous a demandé, non pas de singer (important!), mais bien d'extraire la gestuelle, l'attitude, la qualité de l'artiste, pour nous l'approprier.
La performance est finalement pensée à travers un dernier dialogue entre la matière corporelle (nous) et un montage audiovisuel, dialogue orchestré par Véronique Hubert (plasticienne vidéaste).

Comment avez-vous travaillé ?

Pour préparer cette performance, K nous a réunis 5 fois pendant 3h (au Carreau du Temple), et une dernière fois pour 2h de filage. La première séance est celle sur laquelle je pense qu'il y a le plus de choses à dire, en partie parce qu'elle est celle par laquelle nous nous sommes découverts (le groupe ne se connaissait pas au préalable). De façon assez inattendue, la "découverte" qu'a souhaitée K était uniquement corporelle. Nous sommes sortis de cette séance en nous connaissant, corporellement, beaucoup mieux (malgré la tension de nos pauvres corps, éprouvés par une semaine post-charlie) ; j'étais tout de même incapable de donner le prénom de la moitié des personnes avec qui j'avais dansé... Les autres séances ont ensuite servi à trois choses : apprendre à évoluer dans le groupe, préciser l'histoire qu'on souhaitait raconter et y trouver notre place, apprendre à découvrir nos pop/rock-stars... A la fin de chaque séance, K nous filmait, matière à partir de laquelle nous pouvions continuer à construire hors Carreau du Temple.

Qu'est-ce qui t'a motivé à rejoindre le projet ? Qu'as-tu appris, aimé ?

J'ai voulu rejoindre ce projet parce que l'idée de participer à un processus de création artistique de A à Z m'intéressait. Certes K nous a présenté ce projet en ayant une idée en tête, mais les choses n'étaient pas encore écrites, elles ont évolué, en partie du fait de nos interventions vocales et corporelles. Je voulais découvrir ce processus, et m'amuser à évoluer dans un nouveau groupe qui m'était complètement inconnu, mais dans lequel chacun devait trouver sa place, et vite! La restitution sur scène est peut-être l'étape qui finalement m'amuse le moins...

Qui sont les danseurs du spectacle ?

Dans ce groupe "éphémère" de 10-12 personnes (à majorité féminine !), nous sommes tous amateurs. Nous venons d'endroits assez divers, nous ne sommes que 5 à venir de DeS.

Parle-nous un peu de K, son style, son expérience ?

J'ai beaucoup aimé ce projet avec K pour deux raisons principales (en dehors du fait qu'il soit gentil, disponible, motivé... toussa toussa). D'abord, on sent qu'il vit le projet qu'il porte et qu'il arrive à avoir une idée synthétique et claire de ce qui est en train d'être construit. C'est rassurant, on sent que le chef d'orchestre a l'oreille musicale. Ensuite, j'ai eu l'impression que l'idée de monter ce projet avec des danseurs amateurs était sincère, et qu'il voulait se servir des choses, évidemment inabouties, que chacun avait à raconter.

Peux-tu nous faire un petit teasing du spectacle ?

Je ne sais pas vraiment comme teaser autrement qu'en promettant tout mon respect à la personne capable d'identifier l'ensemble de nos compagnons de route (pop/rock stars).

Toutes les informations pratiques ici.


Dansons les Amandiers reçoit le soutien de la mairie du XXè !

Toute l'équipe de Danse en Seine est fière de partager avec vous cette information toute fraiche : la mairie du XXème arrondissement de Paris vient d'annoncer son soutien financier au projet Dansons les Amandiers, qui se déroule spécialement dans le quartier Belleville-Amandiers !

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Dansons les Amandiers est un projet artistique participatif autour de la vidéo-danse qui a pour finalité la réalisation d'un film chorégraphique, de spectacles sur scène et lors des événements de quartier (Fête des Amandiers, festival Et 20 l'été) ainsi qu'une expo photo. Le projet se construit autour de rencontres de différents types sur l'année 2015 :

  • 3 rencontres artistiques
  • 3 activités culturelles
  • 3 ateliers de pratiques artistiques
  • 4 ateliers de création artistique
  • 1 film et sa projection
  • 1 exposition photo

Merci à la Mairie du XXème arrondissement pour son soutien !

Vous êtes intéressés par le projet Dansons les Amandiers, contactez-nous ! contact [a t] danseenseine.org


Saison 2015-2016 - Opéra National de Paris : abonnez-vous avec Danse en Seine !

La saison 2015-2016 du ballet de l’Opéra de Paris a été dévoilé en février dernier, et les abonnements sont déjà en vente. 

Danse en Seine a choisi les quatre spectacles ci-dessous. Intéressés par un abonnement groupe pour aller les voir avec nous ? Envoyez-nous un mail à danseenseine@gmail.com.

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Chairs incarcérées : prolonger la réflexion

En pleine préparation des ateliers en prison, Danse en Seine vous propose de prolonger le billet que nous avait livré Anne-Sophie sur le travail de Sylvie Frigon, criminologue et chercheuse canadienne, et de Claire Jenny, chorégraphe française, à l'occasion d'une rencontre-débat en décembre dernier.

La préparation des interventions au centre de détention de Bois d'Arcy amène les bénévoles à se poser des questions sur certains aspects du travail chorégraphique en milieu carcéral. Nous pouvons éclairer notre réflexion à la lumière du texte écrit à quatre mains par les deux femmes, Chairs incarcérées, une exploration de la danse en prison. Voici ce que nous en avons retenu.

Le corps dans l'histoire de la criminologie

La réflexion se porte en premier lieu sur le corps en détention hors de toute approche artistique, ce qui permet de rappeler que cette notion fait problème en détention, dans un lieu et une temporalité qui justement contraignent le corps et empêchent son mouvement.

Sylvie Frigon évoque la perception du corps à travers l'histoire de la criminologie : sans cesse examiné, il est disséqué par la science afin de déceler des analogies entre corps du criminel et crime, et ainsi établir une typologie. Cette tendance à la classification, chère aux scientifiques du XIXe siècle, cherche à reconnaître dans certains traits physiques les signes de la criminalité. Sont alors particulièrement mis en avant les marqueurs de la dégénérescence, de l'anormalité – et notamment chez les femmes tout trait de masculinité prononcée (les criminelles seraient ainsi plus poilues). La corruption physique montre la corruption morale et psychologique, et renvoie encore aujourd'hui à une image du détenu plus négative que celle des autres citoyens, conduisant parfois à des traitements spécifiques en prison visant le rabaissement de l'individu. Le corps participe ainsi d'une perception dévalorisée des détenus.

Corps et santé en prison

Le livre développe une deuxième approche du corps, cette fois fondée sur la santé corporelle liée à l'enfermement. Les détenus, dès avant l'incarcération, connaissent une santé précaire, qui fragilise leur corps. Divers troubles ou addictions se trouvent déjà présents chez les personnes avant leur détention. L'enfermement ajoute d'autres problèmes de santé (notamment psychologiques, ou liés à l'insalubrité des prisons), mettant en jeu le corps avec l'environnement, soit par sa négligence, soit par son isolement. Le corps devient un signe de l'état d'enfermement et reflète les sentiments vécus. En outre, la prison amplifie cet état : l'enfermement imprime dans le corps des tensions, le désincarne, dans un processus de mortification. Le corps devient un site de contrôle (par le système carcéral) et un site de résistance (pour la personne détenue), selon les termes et le point de vue de Sylvie Frigon et Claire Jenny.

Le corps comme site de contrôle

Les deux auteurs reprennent Foucault et sa théorie considérant l'enfermement comme concepteur de procédures participant à l'assujettissement des corps pour les rendre à la fois dociles et utiles. Pour Sylvie Frigon et Claire Jenny, c'est manifeste dès l'entrée en prison : le fonctionnement carcéral s'attaque au corps par des « rituels » de dégradation (dépouillement de l'identité, déshabillement devant des inconnus, douche avec des produits désinfectants, interdiction des bijoux…), d'humiliation (fouilles corporelles jusqu'aux parties intimes). L'incarcération  produirait alors une identité corporelle singulière : un corps qui ne s'appartiendrait plus. L'individu perdrait le sentiment de soi, le sentiment d'exister. Il perdrait également le contact corporel. Ne subsisteraient que des rapports tactiles violents : le froid de la douche, les coups, les fouilles, l'absence de toucher. Le corps entre alors en résistance.

Le corps comme site de résistance

Le corps est un outil de la résistance à l'aliénation engendrée par la prison : tatouage, grève de la faim, grève de l'hygiène, masturbation (souvent prohibée), sport, relations intimes, auto-mutilations… C'est une forme de marquage de l'expérience d'enfermement et de ce qu'elle fait traverser. La peau est le dernier espace du corps dont le détenu peut disposer.

Les moyens de résistance, et notamment les violences exercées à son propre corps, jouent un rôle ambivalent : à la fois signes d'une situation de détresse, ils fabriquent aussi du sens quand le détenu a perdu ses repères et le contrôle de son corps. En outre, ces formes de résistance sont un refuge, une stratégie de survie, car le détenu peut ainsi en faire un exutoire à la colère, à la frustration.

La danse en prison

Considérée comme « un travail d'urgence » selon le chorégraphe François Verret, la danse en prison revêt une signification paradoxale : toute peine de prison est d'abord une peine corporelle, dans un espace contraint, un temps dilaté, une perte de sens.

Danser en prison n'est pourtant pas une activité nouvelle et beaucoup de pays ont développé des programmes en milieu carcéral. Divers objectifs sous-tendent ceux-ci : favoriser la réhabilitation et la réinsertion dans la communauté, proposer un divertissement sain et une activité physique positive, développer des compétences, reprendre contact avec le corps et l'esprit, contrer la violence, initier une thérapie, exprimer des émotions…

Cette activité prend aussi différentes formes d'ateliers, et les auteurs du livre citent :

  • les Philippines, où certaines prisons obligent la pratique de la danse 4h par jour avec création d'un spectacle public ;
  • l'Inde, où des cours de yoga ou de danses traditionnelles sont organisés ;
  • les Etats-Unis, où plusieurs programmes visent à la réinsertion, sur la longue durée ;
  • le Canada, où des ateliers sont organisés, avec représentations publiques.

Le travail chorégraphique en détention

Les parcours de vie des individus empêchent leur quiétude et leur mobilité. Cela a des conséquences sur leur corps : son équilibre, son identité, son altérité, son contact, sa capacité à apprendre et transmettre, sa mémoire. Se posent alors avec acuité des questions simples : qu'est-ce qui fait qu'on tient debout, en équilibre et en interaction harmonieuse avec notre environnement ? La sensation d'équilibre suppose un axe serein des pieds à la tête, avec un regard horizontal ; or, le corps des détenus ne se lâche pas. L'équilibre n'est pas figé, il permet de se projeter au-delà, dans l'espace ou dans la rencontre. Comment donner le poids de son corps, recevoir celui de l'autre, faire un transfert d'appuis ? Les détenus font ainsi un « pèlerinage » dans un corps qu'ils redécouvrent, qu'ils ne connaissaient plus, qu'ils vont se réapproprier : ils réapprennent à lâcher prise, s'abandonner, glisser au sol, chuter, se déposer, trouver un état de calme et du plaisir.

Les exercices de Claire Jenny sont faits pour que les prisonniers s'expriment, que la danse soit un moment d'extériorisation, ou une parenthèse pour souffler, ne pas être dans un rapport de forces permanent. Les jeux sur le mouvement des trois volumes du corps (bassin, thorax, tête), l'expérimentation de l'équilibre assis ou debout, les jeux de regards à deux ou bien seul en s'emparant de l'espace et en levant la tête (alors qu'il est, dans certaines prisons, interdit de regarder un gardien dans les yeux en France) sont autant de façons de trouver une estime de soi, de réapprendre l'amplitude du mouvement, l'étirement, la projection. Et de contrer l'habitude des espaces étriqués, qui entraîne des mouvements resserrés chez les détenus.

La danse est également un espace pour réapprendre la confiance en soi et dans l'autre. Cela se transmet chez Claire Jenny par un travail de massage (auto-massages, puis se laisser masser, puis masser l'autre), qui se révèle d'abord perturbant pour les détenus, avant de devenir jouissif. Il faut faire preuve d'une grande retenue pour effacer les tabous puis créer la confiance et le respect nécessaires à ces moments. Et avec la confiance vient la conscience de faire partie d'un groupe tout en se percevant soi-même de façon positive, revalorisée. Les détenus dévoilent entre eux leurs bons côtés.

Pour la chorégraphe Claire Jenny, les vécus du corps sont de plus en plus brimés, aussi bien en prison que pour les individus libres de leurs mouvements. Il y a une altération de la relation au monde par le corps.

Du point de vue des intervenants

Les artistes, au début, sont moins à l'aise que les détenus. L'atmosphère lourde de la prison, la tension pèsent sans que les artistes s'en rendent compte sur le moment. Ils éprouvent un épuisement a posteriori. Ils voient dans le corps des détenus les marques de la tension, les problèmes vécus : leur corps est très rigide et des mouvements simples deviennent impossibles : marcher avec un regard à l'horizontale, se laisser toucher, danser pieds nus, ouvrir la cage thoracique avec les bras écartés. Ces mouvements sont bloqués, engendrent douleurs et nervosité, et la pratique intensive de la musculation (souvent sans conseil) accentue cet état. Le corps sportif est valorisé en prison, pas le corps non sportif sensuel.

Les sensations et les perceptions sont bouleversées : temps hyper réglé et en même temps très instable (les détenus ne savent pas ce qui va se passer d'un jour à l'autre) qui maintient dans un état de tension extrême ; mélange d'espaces immenses et vides (halls, circulations) et d'espaces minuscules (les cellules) où se trouvent les individus, qui provoque une sensation de vertige ; réverbération du son, absence de silence. Et l'espace qui résonne, c'est toujours la prison, donc l'image de la prison est toujours présente, on ne peut l'oublier quand on se trouve à l'intérieur.

Les artistes, dans le contexte carcéral, se posent toujours des questions : qu'est-ce qu'on fait ? Avec qui ? Comment faire goûter la danse à des personnes qui ne sont pas dans cette culture-là ? Comment ne pas s'imposer et permettre aux détenus d'être créateurs ? Quel rapport établir avec des femmes qui ne voient pas d'hommes, des hommes qui ne voient pas de femmes ?

Concernant le travail chorégraphique, les intervenants sont très frappés par l'implication des détenus : c'est très chargé émotionnellement, ils prennent tous les risques et se montrent à leurs co-détenus dans leur vulnérabilité.

Le savoir-être des artistes

Les intervenants ont une grande responsabilité artistique et humaine : ils doivent prêter attention à la réception du projet et des propositions chorégraphiques par les détenus, être à l'écoute, et se mettre en question en permanence : jusqu'où va-t-on dans l'implication sociale ? Comment ne pas manipuler les personnes ? Explorer la liberté du corps en détention comporte des risques, il faut rester lucide face à ce paradoxe, afin de ne pas blesser des détenus déjà meurtris dans leur corps par leur parcours de vie.

Sylvie Frigon et Claire Jenny soulignent l'importance d'expliquer pour créer un climat de confiance. Selon les personnes, soit les danseurs prennent l'initiative d'aller vers et de prendre contact physiquement avec l'autre, soit ils attendent, ne s'approchent pas pour éviter que l'autre se rétracte. On explore ici la frontière ténue entre l'invitation et l'intrusion dans le corps de l'autre. La préparation des intervenants reste alors importante afin de savoir être présent simplement sans attendre quelque chose de précis des autres.

Conclusion

La danse permet aux corps en prison de se déverrouiller. Elle constitue un outil de reconquête de soi et d'analyse de la prison. Elle est donc subversive et paradoxale.

Dans cette démarche, le savoir-faire et le savoir-être des intervenants extérieurs sont essentiels : conscience du contexte singulier, lucidité à l'égard du paradoxe inhérent à cette pratique, vigilance face à la vulnérabilité des personnes détenues.

Enfin, créer dans ce contexte singulier pose deux questions :

- le travail artistique réalisé en prison ou sur la prison relève-t-il du travail social ou du domaine artistique ? Faut-il opposer ces deux aspects ?

- comment ne pas instrumentaliser les détenus ?

La danse offre un espace de liberté, une reprise de contact avec le corps, un éveil sensoriel, une remise en forme de corps coincés, anesthésiés, souffrants ; c'est un contact – intime – avec l'autre. C'est aussi du plaisir, et de la résilience, de la résistance douce.

Si les ateliers que Danse en Seine propose le mois prochain à Bois d'Arcy sont bien plus modestes que les projets menés par Claire Jenny, on peut néanmoins y trouver matière à réflexion quant au contexte dans lequel nous nous apprêtons à plonger. Cette lecture alimente également nos questionnements sur la place de la danse et le rôle qu'elle est capable de jouer pour les détenus. Cela n'est pas sans influence sur la préparation de nos interventions et la façon d'aborder notre position ou notre attitude à prévoir. Ce texte, en tout cas, renforce en nous l'intime conviction de la légitimité et de l'importance de ces ateliers en prison, pour le public auquel ils sont destinés mais également pour les bénévoles Danse en Seine qui y sont impliqués, en même temps qu'il suggère des développements possibles pour faire évoluer le projet.


Festival Les Plans d'Avril : découvrez le chorégraphe K Goldstein !

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Dans le cadre du projets Dansons les Amandiers, Danse en Seine organise une sortie le vendredi 24 avril au Carreau du Temple.

Les élèves de l'école des Amandiers et leurs familles visiteront l'établissement en compagnie de l'équipe du lieu et seront ainsi sensibilisés aux différents métiers des entreprises culturelles (régisseur, technicien lumières, communication, etc.).

Cette sortie se poursuivra par une invitation au spectacle "De la paillette à la sueur", restitution d'un travail mené par le chorégraphe K Goldstein avec des danseurs amateurs, notamment de la compagnie Danse en Seine.

Véronique Hubert, plasticienne vidéaste, et K Goldstein, chorégraphe, désirent interroger la notion de spectacle lors d’une performance pendant les Plans D’Avril 2015. Le mix de V. Hubert sera un mélange synchronisé de sons, d'images animées et de littérature. Ce montage audiovisuel rythmé par des comédies musicales, des chorégraphies contemporaines, des intrigues cinématographiques, des vidéos d’artistes contemporains articulera cette année un projet performatif du chorégraphe K Goldstein / Cie KeatBeck. La matière corporelle de la performance sera travaillée sur 4 ateliers chorégraphiques de 4h avec 10 à 15 amateurs ayant déjà une pratique corporelle. Ils travailleront en collaboration pour interroger le monde du spectacle, l’univers de la représentation et créer une performance de 15 minutes.

N'hésitez pas à vous joindre à nous pour ce spectacle qui se terminera par un bal électro ou à découvrir le reste de la programmation du festival Les Plans d'Avril, que nous vous recommandons chaudement !


Anne-Sophie, notre bénévole du mois

IMG_7548Comme chaque mois, nous vous présentons une bénévole : découvrez Anne-Sophie, responsable du projet Danse & Détention.

1. Quel est ton rôle dans l’association ?

Je suis responsable du projet de lien social "Danse & Détention". Depuis plusieurs mois, je prépare ce projet qui est monté en partenariat avec l'association Champ Libre avec qui j'échange régulièrement pour organiser l'intervention de Danse en Seine à la prison pour hommes de Bois d'Arcy. Depuis janvier, j'anime l'équipe de bénévoles pour la préparation du cycle d'ateliers 2015, les 4 samedis matins d'avril. Notre groupe est très enthousiaste ! Nous avons vraiment hâte d'aller à la rencontre des personnes en détention pour échanger avec elles sur l'univers culturel de la danse, et leur proposer le défit de travailler ensemble une chorégraphie (Rosas) de Ana Teresa de Keersmaeker...

2. Que fais-tu dans la ”vraie vie” ?

Je suis chargée de développer les projets d'innovation dans le domaine de la mobilité au sens large (mobilités électriques, mobilités douces, ville intelligente, technologies de l'information et de la communications appliquées aux transports, opendata...) au sein d'une grande collectivité territoriale. Concrètement je fais de la veille, je mets en relations des porteurs de projets innovants avec les experts de la collectivité, je les aide à monter des partenariats qu'il s'agisse d'une petite expérimentation sur l'espace public ou d'un projet de recherche et de développement allant chercher des financement nationaux ou européens.

3. Comment as-tu entendu parler de Danse en Seine ?

Fin 2012, une copine de travail m'a parlé des super cours de danse, de l'esprit de Danse en Seine avec ses projets de développement du lien social par la danse, de la dynamique positive et créative de ses membres. Comme j'avais envie de redécouvrir la danse contemporaine, je me suis lancée. Une fois dans l'association, j'ai découvert le fonctionnement des projets en participant à certains d'entre eux. Ce que j'apprécie, c'est le souci de faire bien les choses, de réunir des compétences et les envies des bénévoles, pour atteindre de superbes résultats avec bonne humeur et implication.

4. Peux-tu résumer l’association en 3 mots ?

Qualité et bonne humeur tout en rose !