Dans le cadre de l’exposition d’art créé en prison Un demi-mètre carré de liberté à Dorothy’s gallery, à paris 11ème, Danse en Seine a assisté à la rencontre du 6 décembre, autour de la danse avec Sylvie Frigon, criminologue, universitaire canadienne, et Claire Jenny, chorégraphe.

L’exposition Un demi-mètre carré de liberté qui se tenait du 17 octobre au 12 décembre 2014 à Dorothys’gallery présentait 150 œuvres de détenus du monde entier, montrant que le monde carcéral est aussi un endroit de création. Dans ce cadre, plusieurs événements sur le thème carcéral et ses enjeux actuels étaient organisés, dont la rencontre intitulée Chairs incarcérées : une exploration de la danse en prison le 6 décembre avec Sylvie Frigon, criminologue, universitaire canadienne, et Claire Jenny, chorégraphe.

Chairs incarcérées, une exploration de la danse en prison

La soirée était introduite par la présentation d’un film documentaire sur Bouba Landrille Tchouda, chorégraphe de danse contemporaine proposant des ateliers de danse avec les détenus. Il s’est inspiré des échanges avec les détenus pour créer la pièce Murmures, présentée au Théâtre National de Chaillot.

Puis Claire Jenny et Sylvie Frigon ont partagé leur expérience des projets de danse en contexte carcéral. Claire Jenny a expliqué qu’elle a commencé il y a plusieurs années par animer des ateliers de danse en détention avec des détenus de Bois d’Arcy. De là, elle s’est intéressée à la situation des détenues femmes. Elle a proposé des projets d’ateliers à plusieurs prisons pour femmes, et reçu une réponse positive de Fresnes. Depuis, elle a mené plus d’une dizaine de projets de danse contemporaine avec des femmes y compris en prison au canada. Elle travaille avec Sylvie Frigon, criminologue. Ensemble, elles ont par ailleurs construit des cours de danse amenant des étudiants de sciences sociales à réfléchir et à ressentir l’enfermement en détention.

La vidéo présente leur démarche et quelques extraits des projets.

Dans le cadre de la préparation du projet Danse et Détention, ce partage d’expérience est très enrichissant pour Danse en seine. Il permet notamment d’éclairer les réflexions sur les ambitions du projet, et de mieux appréhender les défis à relever dans le cadre des ateliers de danse en milieu carcéral que l’association prévoit d’animer à nouveau en 2015 en partenariat avec Champ Libre.

Les ambitions :

  • Faire en sorte que l’atelier aboutisse à une représentation. Pour Claire Jenny, il n’y a pas d’art dansé sans présentation au public. Sinon, il s’agit de séances de bien être par la danse. Or l’objectif des projets de Claire Jenny, est la création artistique avec les détenus, et pas du tout un objectif thérapeutique. L’art sous-entend la création qui s’oppose à la mortification.
  • Apporter de l’ouverture, de la fraîcheur. S’il est difficile de dire qu’un atelier de danse va changer la vie en détention, il est possible de toucher des gens même sur des courts instants d’échanges. L’impact est très difficile à évaluer. Car il ne s’agit pas d’évaluer la bonne tenue des détenus, mais de développer la confiance en soi ou l’estime de soi, difficilement mesurables.
  • Placer les détenus en situation de réussite. Extérieurs à l’institution pénitentiaire, les intervenants ne sont pas là pour juger les détenus, mais pour les accompagner.
  • Changer le regard sur les détenus. Dans le cadre de présentation de danse en détention ou même au cours des ateliers, les personnes de l’institution pénitentiaire voient les détenus différemment. Les détenus ont eux aussi une humanité à partager. De même, le partage de ces projets à l’extérieur des murs de la prison, permet de changer le regard de la société sur les détenus.

Les défis à relever et les points de vigilance :

  • Prendre en compte l’état de fragilité des personnes. La danse emmène vers l’expression de son état intérieur, ou plonge dans des états physiques qui peuvent faire échos à des souvenirs douloureux, ou a prendre conscience de souffrances physiques ou psychiques.
  • L’espace est vécu différemment en prison. L’instabilité vécue se traduit par la difficulté à trouver ses appuis. La simple posture debout selon l’axe vertical nécessite d’être stable sur ses pieds. Pour poser le regard, il faut être dans un état d’apaisement et de projection, difficile à trouver par les détenus. A l’intérieur de la prison, il n’y a d’ailleurs pas d’horizon permettant de projeter le regard. De plus, les petits espaces alloués aux ateliers artistiques en prison ne facilitent pas la pratique de la danse.
  • Les perceptions physiques sont changées en détention. Sentir le poids de l’autre, aller vers l’autre, le toucher, expérience commune en danse contemporaine, peut être énorme pour une personne en détention dont les contacts physiques avec les autres peuvent être inexistants. Par ailleurs, les détenus peuvent avoir un rapport au corps en souffrance, ayant potentiellement vécu des violences.
  • L’improvisation n’est pas naturelle en détention. Au quotidien, les détenus ne font plus de choix, ne sont pas autorisés ou ne s’autorisent plus à s’exprimer. Si de manière générale, l’improvisation déstabilise, c’est encore plus vrai avec des danseurs détenus. C’est pourquoi Claire Jenny ne leur demande jamais ce qu’ils veulent faire. L’improvisation est cadrée.
  • Ne pas oublier qu’à la fin des ateliers, les détenus retournent au quotidien carcéral. Les ateliers doivent ouvrir ou donner confiance en soi. Mais la créativité qui émane de l’isolement ou de la souffrance, mise en scène au cours des ateliers, peut aussi laisser les détenus dans un état de vulnérabilité.
  • L’intervention ne doit évidemment pas avoir un caractère voyeur. Cependant, les ateliers artistiques en prison ne sont pas neutres et amènent les intervenants extérieurs à rencontrer un univers qu’ils ne connaissent pas forcément et à réfléchir sur leur propre relation au corps.
  • Créer un groupe. Les projets de Claire Jenny sont courts et intensifs (par exemple : 1 semaine – 8h par jour). La difficulté est de créer un groupe en si peu de temps.
  • Filmer en détention. La prise d’images peut servir de matière à la création artistique. Cependant, les détenus peuvent ne pas vouloir être reconnus pour se protéger ou protéger leur famille.

À travers son projet Danse et Détention, Danse en Seine promeut la danse comme outil d’ouverture culturelle et artistique des détenus, dans un objectif de développement du lien social, conviction renforcée à l’occasion de cette rencontre avec Claire Jenny et Sylvie Frigon.

Anne-Sophie