Alors que la neige occupe les trottoirs et les pelouses de la ville de Suresnes, les aficionados du festival se retrouvent dans la chaleur du théâtre Jean Vilar pour une après-midi danse. Trois heures de danse, trois heures de régalade pour les novices comme pour les plus avertis, trois heures et 5 pièces, pour dire la richesse de la fusion de la danse contemporaine et du hip hop…  1 + 1 > 2, où comment la rencontre entre ces deux courants artistiques donne naissance à un esthétisme dynamique, puissant et émouvant.

 


L’ouverture du spectacle se fait par Bye Bye Vénus, belle pièce de Jérémie Bélingard (2010) avec des moments de danse particulièrement énergique et surtout une gestuelle surprenante. Face aux jambes nues de ces danseuses hip hop qui n’ont en rien la ligne et l’académisme des collègues habituelles du chorégraphe on est d’abord circonspect… J’irais même plus loin : trop habituée à la perfection des en-dehors, aux coups-de-pieds vertigineux, ou à la grâce fragile des ports de bras, j’ai d’abord ressenti un léger agacement… Pourquoi choisir ce type de danseuses pour une pièce si « classique »? Mais si l’on parvient à mettre de côté les jugements esthétiques étriqués, la mayonnaise prend : ces danseurs ont un rapport au sol et une manière de se mouvoir unique. Fluidité, énergie et poids s’imposent sans l’intellectualité parfois pesante des chorégraphies « contemporaines ». Les corps dansent avec joie et on aime ça.

A l’inverse de Jérémie Bélingard, Abou Lagraa garde ses trois danseurs dans leur propre univers hip hop et les fait évoluer dans un contexte audio visuel et « philosophique » bien à lui. « Passage est un hommage à l’architecture de la lumière, déclinant son spectre rouge, bleu, vert, couleurs qui additionnées, forment le blanc ». Les trois danseurs se voient donc octroyer un carré de lumière rouge, jaune ou bleue à l’intérieur duquel ils évoluent dans un style qui leur est propre. Trois très beaux danseurs, dont le mélange des styles fusionnera en cette fameuse lumière blanche.

 

Pour Sylvain Groud, le pari de ces rencontres est de passer « au-dessus des clivages esthétiques ». Ainsi, « il ne s’agit pas de s’enliser dans tel ou tel courant de la danse actuelle mais simplement de rencontrer cet acte de partage ». Pari réussi. La pièce d’une richesse et d’une humanité incroyables. Les cinq danseuses se mettent à nu et le public s’attache… On voudrait en savoir encore plus!

 

Après une heure trente de spectacle, la pièce de Laura Scozzi, Quelque part par là (2007), est accueillie avec entrain. Le public profite de ces instants de légèreté offerts par 5 danseurs en costumes grotesques. Abeille, ours polaire, loup, fée, chaperon rouge, truies sur pointes en trench élégant… Difficile de décrypter le message de la pièce. La divine fée est interprétée par un danseur des plus costauds,  le petit chaperon rouge est barbu et les ballerines, incarnation de l’élégance et de la délicatesse, troquent leurs pointes contre des bottes de pluie et leur chignon légendaire contre un groin… Le vieux cliché des danseuses superficielles aux mœurs légères referait-il surface? « Les danseuses sont nues par en bas et les honnêtes femmes par en haut. C’est à ça qu’on les distingue. » (Alphonse Karr).

 

 

La manifestation se ferme sur Standards, dernière création de Pierre Rigal. Ambitieuse proposition : « La pièce Standards met en scène 9 danseurs hip-hop qui vont former à eux seuls une population. Celle-ci s’empare d’un symbole collectif du vivre ensemble, le drapeau ou plus exactement l’étendard.» Les danseurs explorent les limites de ce «territoire imaginaire», ses frontières… Ainsi sur fond bleu-blanc-rouge, des moments poignants, où le spectateur reste scotché face à l’énergie vibrante qui jaillit de chacun de ces « performeurs ». Le tableau suscite des interrogations : toute cette violence, sonore et visuelle autour du pavillon tricolore, qui finit, déchiqueté, partagé entre les différents protagonistes…